Ils travaillent depuis un café de Lisbonne, une terrasse à Bali ou un coworking lumineux à Barcelone. Ces Français hyperconnectés, souvent trentenaires ou quadragénaires, ont fait un choix radical : quitter la France pour devenir Digital Nomads, ces travailleurs indépendants ou salariés à distance qui vivent là où ils se sentent le mieux. Fatigués d’un système jugé rigide, de la pression fiscale et d’un climat parfois morose, ils sont de plus en plus nombreux à s’expatrier, ordinateur sous le bras, pour conjuguer travail et qualité de vie.
D’après plusieurs études récentes, plus de 120 000 Français vivraient désormais à l’étranger tout en travaillant à distance, une tendance en forte hausse depuis la pandémie de Covid-19 et la généralisation du télétravail. Et pour beaucoup, il n’est plus question de revenir en arrière.
Thomas, 34 ans, développeur web freelance, a quitté Paris il y a deux ans pour s’installer à Lisbonne. Il fait partie de cette nouvelle génération qui a décidé de redéfinir la notion même de travail.
« À Paris, je travaillais douze heures par jour, souvent enfermé, sans voir la lumière. Le coût de la vie explosait, les loyers étaient délirants, et j’avais l’impression de courir sans fin. Un jour, j’ai réalisé que je pouvais faire mon métier depuis n’importe où. Alors j’ai vendu mon appartement et je suis parti au Portugal. Depuis, je revis. »
Il raconte ses journées rythmées par le surf matinal, les réunions à distance et les apéros entre expatriés.
« Ici, je paie moins de charges, je profite du soleil presque toute l’année, et surtout, j’ai le sentiment de respirer. Les Portugais sont bienveillants, la vie est plus lente, plus humaine. Et puis, honnêtement, quand on travaille en short face à l’océan, la productivité grimpe toute seule ! »
Le mouvement des Digital Nomads français s’étend bien au-delà de l’Europe. Si Lisbonne et Porto restent des incontournables pour leur proximité avec la France, leur douceur de vivre et leurs régimes fiscaux avantageux, d’autres destinations gagnent du terrain.
- Barcelone et Valence, en Espagne, séduisent par leur dynamisme, leur climat méditerranéen et leurs infrastructures de coworking ultramodernes.
- Bali, en Indonésie, attire ceux qui recherchent un cadre exotique et une vie à moindre coût, avec des loyers divisés par trois par rapport à la France.
- Chiang Mai, en Thaïlande, est devenue une capitale mondiale du travail à distance grâce à ses cafés équipés de Wi-Fi rapide et à son ambiance zen.
- Dubaï, enfin, attire une élite de freelances et de créateurs de contenu pour son absence d’impôts et sa connectivité internationale exceptionnelle.
Ces lieux partagent les mêmes caractéristiques : un coût de la vie plus bas, une météo clémente et une ouverture au télétravail avec des visas spécifiques pour les travailleurs à distance.
Le départ des Digital Nomads français ne s’explique pas seulement par des considérations financières. Beaucoup évoquent une fatigue du système français, jugé contraignant et anxiogène.
« En France, j’avais l’impression d’être coincée dans une boîte : horaires fixes, charges lourdes, administration compliquée », explique Léa, 29 ans, graphiste freelance installée à Valence. « En Espagne, tout est plus fluide. Je gagne un peu moins, mais je dépense deux fois moins, je me sens en sécurité, et surtout, je profite enfin de ma vie. »
La sécurité du quotidien est d’ailleurs un argument souvent cité : dans plusieurs villes d’Europe du Sud ou d’Asie, les Digital Nomads affirment se sentir plus sereins, moins stressés par l’insécurité ou les tensions sociales.
Et au-delà du confort matériel, c’est une quête de sens qui anime cette génération. Le télétravail permet de redéfinir les priorités : passer du temps en famille, voyager, se recentrer sur ses passions ou s’ouvrir à d’autres cultures.
De nombreux pays ont compris l’opportunité représentée par ces travailleurs itinérants. Ils proposent aujourd’hui des visas “Digital Nomad”, permettant de résider plusieurs années sur place tout en travaillant pour des clients étrangers. L’Espagne, la Grèce, la Croatie ou encore l’Estonie ont adopté des dispositifs attractifs pour les freelances européens.
Sur le plan fiscal, ces pays offrent des régimes bien plus souples : taux d’imposition allégés, charges réduites et formalités simplifiées. Résultat : un développeur ou un graphiste indépendant peut parfois économiser plusieurs milliers d’euros par an, tout en conservant le même niveau de revenus.
À cela s’ajoute un coût immobilier bien plus accessible : un appartement avec vue sur mer à Valence ou un loft à Lisbonne coûte parfois moins qu’un studio à Paris.
Ce mouvement de fond n’est pas une simple mode, mais bien un changement structurel du rapport au travail et à la liberté individuelle. Grâce à la technologie et à la mondialisation, ces travailleurs indépendants deviennent des citoyens du monde, capables de s’adapter à tous les fuseaux horaires.
« Nous sommes la première génération à pouvoir travailler de n’importe où », résume Thomas. « Et quand on goûte à cette liberté, il est impossible de revenir à la routine du métro-boulot-dodo. »
Pour ces nouveaux nomades du numérique, la France reste un pays de cœur, mais plus forcément un lieu de vie. Ils ont simplement choisi de vivre autrement, en cherchant ce que beaucoup ont perdu : du temps, de la sérénité et de la lumière.
Et dans un monde de plus en plus connecté, le bureau n’a plus d’adresse fixe — il se trouve là où il fait bon vivre.